La vérité scientifique ne se décrète pas à l'applaudimètre. Elle n'émerge pas du discours politique, ni des pétitions, ni des réseaux sociaux. En science, ce n'est ni le poids majoritaire ni l'argument d'autorité qui font loi.
C'est pourtant dans ce type de dérive que s'est fourvoyée la recherche de traitements médicamenteux actifs contre le Covid-19 : trop de précipitation dans la communication, trop d'annonces prématurées, trop de discordes entre les équipes, trop de pressions de toutes sortes, mais pas assez de science.
La démarche scientifique exige du temps, de la méthode et de l'esprit critique. Dans le domaine du médicament, il faut non seulement vérifier qu'une substance est efficace, mais aussi s'assurer que ses avantages l'emportent largement sur ses effets indésirables, eu égard à la gravité de la maladie cible. C'est la balance bénéfices/risques. L'essai thérapeutique contrôlé randomisé est la seule méthode permettant de répondre à ces questions avec un niveau de preuve élevé.
Dans le cas du Covid-19, en l'absence de traitement de référence susceptible de servir de comparateur, chaque médicament candidat doit être comparé à un placebo. Ce choix est légitime en situation d'incertitude, c'est-à-dire lorsqu'on ne sait pas a priori si le patient qui sera inclus dans l'essai thérapeutique aura intérêt à être dans un groupe plutôt que dans l'autre. Mais les prises de positions passionnelles, voire compassionnelles, en faveur de l'hydroxychloroquine avant tout essai comparatif ont été si nombreuses, et les pressions si fortes dans un contexte anxiogène, que les patients n'acceptaient d'entrer dans l'essai qu'avec la certitude de ne pas être inclus dans le bras placebo, ce qui est incompatible avec le principe même de l'essai contrôlé. En conséquence, rares étant ceux qui acceptaient de contribuer à l'avancée de la science.
Par ailleurs, l'évolution spontanément favorable de l'infection par le SARS-CoV-2 dans 85% des cas impose de recruter un grand nombre de participants pour démontrer l'efficacité d'un traitement dans la phase initiale de la maladie. Or, la regrettable dispersion des essais limite la taille des effectifs et réduit la puissance statistique des résultats.
Enfin, le battage médiatique en faveur de l'hydroxychloroquine se déportant secondairement vers le remdesivir et le tocilizumab sur la foi de modestes résultats préliminaires, il importe de rester prudent en attendant leur confirmation.
Si le contexte anxiogène de la pandémie stimule la compétition entre les équipes de recherche dans le monde entier, cet impératif ne saurait justifier l'utilisation de méthodes inappropriées, d'études bâclées, ni d'une communication avide d'exclusivités. Précipiter l'évaluation d'un candidat médicament, c'est exposer les patients à d'éventuels effets adverses sans être sûr de leur apporter un bénéfice. Il existe heureusement des équipes responsables qui font preuve d'imagination et de proactivité en raccourcissant autant que possible les délais d'obtention de leurs résultats.
Le temps de la recherche et de la science n'est pas celui de l'immédiateté des médias et des réseaux sociaux. Le doute, inhérent à toute démarche scientifique, est aussi intolérable pour le public soucieux d'apaiser son anxiété que pour le politique désireux de conforter ses décisions. En temps de crise, si le doute exaspère, les croyances sont nuisibles et souvent dangereuses.