Considérée comme un aspect essentiel de la modernisation de l’offre hospitalière, la T2A –née du “Plan Hôpital 2007” de 2002 qui instaurait «une nouvelle gouvernance hospitalière»- vise, selon les textes, à «rendre plus rationnel, plus équitable et plus transparent le mode de financement des hôpitaux publics et privés ». Elle doit permettre de faciliter l’allocation des ressources, la régulation des dépenses de santé, et améliorer la coopération entre les établissements.
De façon globale, disons que 4 grands objectifs ont été initialement fixés : une plus grande médicalisation de la mise en œuvre du financement ; une meilleure équité de traitement des établissements ; une plus grande responsabilisation des acteurs ; un développement des outils de pilotage médico-économiques (contrôle de gestion).
Dans le secteur public, une première phase transitoire a consisté, en 2004, à ajuster les budgets des établissements en tenant compte de leur activité mesurée par le PMSI (Programme de médicalisation des systèmes). À la même époque, le secteur privé commercial connaissait une phase de tests de facturation basés sur des cas d’hospitalisation réels. Ce sont des Comités régionaux, sous la responsabilité des ARH (Agences régionales de l’hospitalisation) et en collaboration avec l’assurance maladie et les fédérations d’établissements privés, qui ont supervisé ces tests.
Le 1er mars 2005, la mise en place de la réforme était effective.
L’évaluation des impacts et les ajustements nécessaires ont depuis lors amené le ministère de tutelle à mettre en place 2 structures : le Comité d’Evaluation de la mise en œuvre de la réforme des établissements de santé, sous la direction du directeur de la HAS (Haute autorité de santé), chargé d’évaluer l’impact et les conséquences de la mise en œuvre de la réforme sur le système de santé (offre de soins, accès aux soins, efficacité économique), et la Mission d’audit et d’accompagnement de la mise en œuvre de la réforme, qui analyse les difficultés rencontrées par les établissements de soins.
La T2A succède en fait à une technique de financement utilisée au cours des dernières décennies, la “dotation globale” (loi de janvier 1983), venue elle-même remplacer le système du “prix de journée”. Une solution imparfaite, puisqu’elle figeait la situation financière des hôpitaux, en pénalisant notamment les établissements dont la gestion était efficace et en ne prenant pas en considération les évolutions de nature et de volume d’activités ; dès lors, les progrès techniques -molécules onéreuses ou dispositifs médicaux- motivaient des demandes de financements supérieures au taux directeur, d’ou la constitution chronique de reports de charges.
Il s’agit donc désormais de financer les établissements sur la base de leur activité réelle -et non sur celle de l’activité passée ou de l’activité prétendue-, c’est-à-dire sur la base d’un forfait fixé par acte réalisé (le cadre concerne actuellement la médecine, la chirurgie et l’obstétrique, soit environ 60% de l’activité hospitalière). Reste à savoir si ce forfait sera déterminé en fonction de l’établissement le plus performant, ou le moins performant, selon une moyenne, à l’échelle nationale ou régionale…
Quoi qu’il en soit, chaque activité donne lieu à un tarif et l’établissement est rémunéré sur la base d’un forfait de GHS (Groupe homogène de soins), dont font bien évidemment partie les dépenses liées aux médicaments. « Ces médicaments, explique Claude Bougé, directeur des Affaires économiques et Relations institutionnelles du Leem, sont de 2 types : ceux faisant partie d’un GHS, qui donnent alors lieu à un appel d’offres et à une compétition entre laboratoires – ce qui concerne en gros 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires-, et ceux ne faisant pas partie d’un GHS, notamment parce qu’ils le perturberaient. Prenons l’exemple d’un malade nécessitant un médicament particulièrement coûteux, ou rare : si l’hôpital ne se faisait rembourser que sur la base du GHS, il pourrait chercher à écarter ce malade, pour cause de remboursement insuffisant du traitement médicamenteux. Inscrits sur ce qu’on appelle “la liste en sus” de la T2A, ces médicaments sont en effet directement remboursés par l’assurance maladie sur présentation d’une facture par l’établissement de soins. En 2007, on dénombre 116 présentations avec AMM, correspondant à 32 spécialités, soit 19 molécules, dont 6 innovations, qui ont donné lieu à prescription sur la liste T2A. Rappelons que jusqu’alors, les médicaments à l’hôpital étaient traditionnellement à prix libre en France ».
Dans une disposition d’octobre 2006, le gouvernement a décidé que les produits onéreux de la liste “en sus” de la T2A pouvaient donner lieu, de la part du CEPS (Comité économique des produits de santé), à des enveloppes de dépenses correspondant à « des unités prescrites à une population cible multipliée par le tarif ». Charge ensuite au CEPS d’actualiser les enveloppes. Pour tous les produits ayant dépassé les enveloppes de populations cibles, celui-ci a proposé des baisses de prix de 20 à 30% du tarif pour les quantités vendues au-dessus du plafond, celui des unités correspondant à l’inscription du produit sur la liste “en sus” de la T2A. Par exemple, si un produit inscrit pour une population cible de 10 000 patients est prescrit à 11 000 patients, sur les 10 000 premiers, on prend en compte le tarif fixé, mais sur les 1000 patients supplémentaires, le CEPS peut proposer des baisses de prix progressives de 20 à 30%. Ce qui n’est pas encore intervenu, dans la mesure où le gouvernement n’entend pas que les groupes 2 et 3, fréquemment des spécialités innovantes, en cours d’extension d’AMM, sur lesquels il y a encore des travaux, y compris hospitaliers, soient concernés par ces baisses de prix. Cela devrait donner lieu à de prochaines négociations entre CEPS et industrie.
Reste à savoir s’il peut y avoir régulation macro-économique de la T2A. « Il y en aura une par la visite médicale, répond Claude Bougé. Récemment, devant la Mecss (Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale), la directrice des hôpitaux a fait à cet égard une déclaration tout à fait majeure devant les parlementaires : “compte tenu du poids de la visite médicale, y compris à l’hôpital, je souhaite que ce dernier puisse également disposer d’une Charte de la visite, sur le modèle de celle signée en juillet 2006 pour la médecine de ville entre le Leem et le CEPS. C’est un moyen d’aller vers une bonne prescription, économe des deniers publics’’. Voilà ce qu’on peut appeler une feuille de route. Il est donc désormais très clair qu’en septembre prochain, on ne pourra pas aborder le Plfss 2009 sans avoir avancé sur le sujet ». À suivre.
Rappelons par ailleurs que l’accord-cadre sur le tarif de remboursement des produits de la T2A, signé par le Leem et le CEPS en mars 2004, arrive actuellement à échéance. Les négociations sont en cours sur son actualisation et sa modernisation.
Reste aussi à clarifier la procédure d’inscription ou de radiation sur la liste “en sus” de la T2A. « On ne sait pas qui pilote, poursuit Claude Bougé. La Dess, la DGS, l’Acoss, le Conseil d’hospitalisation ? Quelle est la place des industriels ? Quelle transparence conventionnelle ?
Quid également de la continuité des soins pour les patients bénéficiaires d’une ATU lorsque le produit obtient son AMM ? C’est un vrai sujet de réflexion. Il s’agit là de produits d’innovation et de patients suivis pour des maladies lourdes, généralement des cancers… Autre problème, celui du patient qui passe en consultation externe, après être sorti d’une hospitalisation de jour ; le produit n’est pas en ville mais administré à l’hôpital, en T2A, onéreux ou pas.
Là, comme dans beaucoup d’autres cas, le texte initial de loi n’apporte pas de réponses concrètes. La T2A est un mode moderne de détermination des budgets à laquelle l’industrie ne s’est pas opposée, mais qui pose de vrais problèmes, notamment dans le domaine du médicament et ce, non pas aux laboratoires, mais aux patients.
Les entreprises du médicament ont une mission de santé publique, mais aussi d’accès du patient aux traitements. À travers des procédures concrètes. C’est-à-dire des procédures qui tiennent compte des cas particuliers. La modernisation du financement de l’hôpital représente encore beaucoup de travail… »
Qu’en est-il “sur le terrain” ? « Ce n’est pas tant mon activité que mon environnement professionnel qui s’en trouve changé, constate Caroline Foncelle-Duriez, Déléguée hospitalière appartenant au panel Visite Actuelle. Dans ce nouveau contexte, où tout passe par la reconnaissance de l’activité, je vois bon nombre d’attachés et de médecins quitter l’hôpital parce que leur activité n’est plus assez reconnue économiquement. Et les chefs de service ont de plus en plus de mal à recruter. En allergologie par exemple, une enquête concernant un nouveau patient peut demander jusqu’à une heure. Cela n’est plus quantifiable aujourd’hui. Autre spécialité dénigrée, la pédiatrie. Les spécialistes tendance psy sont davantage laissés de côté que des spécialistes tendance gastro où l’on effectue beaucoup d’actes. On est dans la rentabilité à tous crins. Avant le sanitaire.
« Il y a quelques jours, dans le service traumato du CHRU que je visitais, j’ai appris que le chef de service était parti, ainsi qu’un PH. Pour les médecins, il est évident qu’on finira par ne plus traiter que les urgences. Tout le reste ira dans le privé. Il en va de même en cardio et en pneumo. Le seul ORL pédiatrique de mon secteur cherche un poste depuis 6 ans. Il finira par quitter la région… En fait, tout finit par s’entrechoquer entre médecine de qualité et médecine de résultats financiers ! »
Il n’y a pas de réforme facile…