Au-delà de la protection des innovations, l’INPI (voir encadré page 31) donne accès à des informations synthétiques, ô combien utiles à la veille technologique. Depuis quelques années, l’Institut rend ainsi publiques, de façon sectorielle et régulière, des analyses prospectives qui s’appuient sur les informations contenues dans les demandes de dépôt de brevets au cours de « Rencontres de l’innovation ». Après avoir considéré « l’automobile et l’environnement », «les images et les réseaux », «l’aéronautique », l’organisme consacre cette année son étude aux tendances de l’innovation dans le domaine du médicament, à partir des dépôts de brevets.
Le brevet est un monopole attribué au propriétaire d’une découverte pour un temps donné (au maximum 20 ans) sur un territoire donné. Mais le brevet, c’est aussi et surtout la divulgation de l’invention. 18 mois après le dépôt, la demande de brevet est publiée, donc accessible à tout un chacun. Et c’est cette information stratégique et technologique disponible qui est exploitée au travers des études sectorielles INPI afin de dégager une tendance prospective de futures technologies.
Les brevets des médicaments, on le sait, interviennent très en amont de l’exploitation commerciale. Il faut en moyenne 12 ans entre le dépôt de brevet et la délivrance du brevet, donc la mise sur le marché. La protection commerciale est donc de 8 ans, mais on peut prolonger à titre exceptionnel le brevet médicament par un CCP (Certificat complémentaire de protection, dont le secteur du médicament est le seul à bénéficier). Ce système est régi par un règlement communautaire et doit être déposé dans chaque Etat membre. En 1993, le CCP communautaire est donc mis en place pour prolonger la protection du médicament d’une durée maximale de 5 ans.
En 2007, un nouveau règlement communautaire apporte une protection supplémentaire de 6 mois pour des entreprises effectuant des développements pédiatriques.
Même avec tous les systèmes de prorogation, un laboratoire ne peut donc bénéficier que d’une protection maximale de 15 ans et 6 mois.
Dans les faits, la durée moyenne se situe entre 2 et 4 ans. Ce qui donne une protection effective de 12 à 14 ans.
L’intérêt de l’étude INPI est de montrer la position des déposants français au regard des demandes internationales de brevets, considérées comme suffisamment importantes, à la fois sur le plan technique et sur leurs perspectives économiques, pour être validées dans les grandes zones économiques de la planète, l’Europe, l’Amérique du nord et l’Asie.
Avant d’entrer dans le détail des données disponibles sur les 10 dernières années, on peut déterminer 7 grands axes dans l’innovation thérapeutique.
Il faut tout d’abord constater un renforcement de la tendance de dépôts de brevets concentrés dans 4 domaines thérapeutiques: les agents anticancéreux, les troubles du système nerveux, les troubles du système cardiovasculaire, les agents anti-infectieux.
Il apparaît ensuite que le milieu complexe du médicament entraîne de fortes collaborations entre les différents acteurs, et cela est d’autant plus vrai pour les biomédicaments où presque 25% des brevets sont déposés en collaboration.
Autre caractéristique, spécifique de ce secteur, on note depuis 2000 une très forte présence de la Chine dans les dépôts de brevets sur le médicament.
La France se situe dans une position très comparable en ce qui concerne la concentration sur les 4 principaux domaines thérapeutiques, mais avec une spécificité : les 12% de demandes de brevets portant sur les troubles dermatologiques, spécificité qui correspond de toute évidence à notre tissu économique dans le domaine. Plus globalement, en matière de dépôts de brevets internationaux la France (45 milliards d’euros de CA, 1er producteur européen de médicaments avec près de 6% du marché mondial) occupe le 5e rang avec 7,2% des dépôts, après les Etats-Unis (41,4%), le Japon (15,5%), l’Allemagne (11,7%) et la Grande-Bretagne (10,7%), et devant la Suisse (5,2%). Si l’on compare cette performance à la performance globale en matière de brevets internationaux, la France est également 5e tous secteurs confondus, devant la Grande-Bretagne, mais dépassée, en 2007, par la Corée.
Autre point important, depuis la fin des années 90, les biomédicaments représentent quasiment la moitié des dépôts de brevets en matière de médicament.
5e constat, la part croissante des biomédicaments dans les CCP qui s’explique par l’effet direct quantitatif de la forte proportion de brevets biomédicaments, dans la période faste du début des années 2000, et par le fait que ces brevets portent sur des médicaments ayant trouvé leur marché, avec une réussite économique et commerciale telle qu’elle justifie une prolongation de la protection.
Par ailleurs, les biomédicaments concernent à 40% les principes actifs peptidiques et protéiques.
Dernier point à souligner, l’importance, dans le domaine des biomédicaments, de la recherche publique qui occupe une place très supérieure à celle occupée dans le secteur médicament, mais aussi dans l’ensemble des secteurs de notre économie.
À l’échelle internationale, la proportion de brevets portant sur les médicaments par rapport au nombre total de brevets est en moyenne de 8%. À titre de comparaison, l’aéronautique représente 0,9% et l’automobile 5,6% des dépôts !
Que nous apprend l’étude INPI ?
Pour l’ensemble des pays et des régions, les 4 principaux axes thérapeutiques sont les agents anticancéreux (entre 8 et 9%), les troubles du système nerveux (8% en moyenne), les troubles du système cardiovasculaire (environ 8%) et les agents anti-infectieux (environ 7%, et 8% pour la Chine). Suivent les troubles du métabolisme, les agents analgésiques, les troubles du tractus alimentaire et de l’appareil digestif (6% pour les pays, mais 8% pour la Chine), les troubles immunologiques ou allergiques et les troubles dermatologiques.
Sur la même période, en France, outre les 4 principaux axes thérapeutiques, on note que 12% environ des dépôts concernent les troubles dermatologiques (traitement du psoriasis, de la séborrhée, des anti-acnéiques, de la calvitie, antioxydants…). Une vraie particularité française !
Par ailleurs, en considérant l’évolution du nombre de demandes de brevets pour les domaines thérapeutiques spécifiques, on observe,
• pour la maladie d’Alzheimer, une certaine reprise des dépôts depuis 2003 ;
• pour le traitement du cancer, une stabilité des dépôts depuis 2000 (et ce pour la plupart des pays, sauf la Chine qui rattrape peu à peu son retard, mais cela est vrai dans tous les domaines thérapeutiques) ;
• pour le traitement du Sida, une chute des dépôts à partir de 2002 et une reprise à partir de 2003 ;
• pour le traitement de l’obésité ou du diabète, une forte augmentation des dépôts (ces maladies touchent les pays industrialisés). En Europe, obésité, +110% des dépôts à partir de 1999 ; diabète, +40%.
Parmi les 16 principaux déposants entre 1999 et 2004les Universités apparaissent en premier avec 21% des dépôts (pourcentages les uns par rapport aux autres et non par rapport aux nombres de brevets déposés). Viennent ensuite Pfizer (11%), GSK (8%), Novartis+Chiron (7%), Roche+Genentech+Chugaï Pharma (7%), AstraZeneca+Medimmune (6%). Le 1er Français est 6e ex-aequo (sanofi-aventis, 6%), puis Bayer-Schering, BMS (5%), Janssen-Cilag+Centocor+Alza, Boehringer-Ingelheim, Merck-Serono+Ars+Ares Trading (4%), Takeda+Millennium, Wyeth, Lilly et BMS (3%).
Cela étant, les déposants de demandes de brevets européennes ne sont pas tous européens. Lorsqu’on considère la nationalité, les USA arrivent en tête avec 39% des dépôts, devant le Japon (12%), l’Allemagne (11%), la Grande-Bretagne (7%), la France (6%), la Suisse (5%), le Canada et la Suède (3%) ; la Chine représentant 1%.
En zoomant sur la stratégie de dépôt les déposants français, on note qu’en 1999, 80% déposaient des demandes sous priorité française, puis en Europe (12% passaient directement par l’Europe). En 2004, ils sont moins de 60% à passer par la voie française avant de demander une extension par la voie européenne (30% passent directement par l’Europe). Sur la même période, des dépôts sont d’abord effectués à l’étranger, principalement aux Etats-Unis, 10% en 1999 et 17% en 2004.
Pour les entreprises françaises entre 1999 et 2006, sanofi-aventis (30% des dépôts) devance le CNRS (12%), L’Oréal (11%), Servier (10%), les Universités (9%), Galderma (filiale créée par L’Oréal, 9%), Pierre Fabre (7%), l’INSERM (6%), la Société de Conseils de Recherches et d’Applications (4%)…
En ce qui concerne les dépôts européens effectués par les entreprises françaises entre 1999 et 2004, sanofi-aventis (27%) arrive encore en tête, devant le CNRS (14%), l’INSERM (12%), L’Oréal (11%), Servier (10%), les Universités (9%), la Société de Conseils de Recherches et d’Applications (5%), l’Institut Pasteur (5%), Pierre Fabre (4%), Galderma (3%).
A noter, la part importante prise par le secteur public (27% de dépôts en France et 40% vers l’Europe).
Si on suit l’évolution entre 1999 et 2007, on constate que les 3 principaux domaines thérapeutiques portent sur les troubles dermatologiques (18% des demandes, 95% privées), sur les agents anticancéreux (9,5% des demandes, 65% privées), courbe assez stable, et sur les troubles du système nerveux (près de 8% des demandes, 86% privées), courbe également relativement stable.
Entre 1999 et 2004, 12% des brevets portaient sur les troubles dermatologiques. Depuis 2004, forte progression, de 12 à 18%.
En ce qui concerne le médicament, il faut donc souligner la part globale du privé (82%).
Selon la classification internationale des brevets, les principes actifs issus du vivant se divisent en 5 catégories : peptides et protéines (enzymes, facteurs de croissance, interférons, qu’ils soient naturels ou obtenus par fermentation), vaccins, avec lesquels on classe aussi les anticorps monoclonaux pour l’immunothérapie massive, la thérapie génique, les acides nucléiques, enfin les substances provenant de la matière vivante (extraits tissulaires ou cellulaires provenant de l’animal, du végétal ou des micro-organismes).
La proportion de ces « biomédicaments » dans les demandes de brevets est aujourd’hui d’environ 48% pour l’international, 47% pour les USA et l’Europe, 40% pour le Japon, 39% pour la France, 38% pour la Grande-Bretagne, 33% pour l’Allemagne, 29% pour la Suisse.
Ces dépôts ne cessent d’augmenter jusqu’en 2000, puis une nette décroissance jusqu’en 2004 : les critères d’examen des brevets se sont durcis, les critères économiques sont entrés en ligne de compte et intervient une évolution vers le criblage des principes actifs).
Lorsqu’on regarde les déposants en Europe, on note une part plus importante des acteurs publics (Universités en tête avec 40%). sanofi-aventis (4%) est 5e et le CNRS (2%), 13e. On retrouve GSK (7%) 2e, Roche (6%) 3e, Novartis (5%) 4e, Takeda, Pfizer, Incyte (4%) 5e, Bayer-Schering, Merck-Serono…
Lorsqu’on considère les déposants en France, le CNRS (20%) occupe la 1ère place devant l’INSERM (14%), les Universités (13%), sanofi-aventis (10%), Institut Pasteur (7%), Pierre Fabre et BioMérieux (5%), le CEA, L’Oréal, le LFB (4%), l’INRA et la Société d’extraction des principes actifs (3%)… Soit 67% pour les acteurs publics.
Lorsqu’on considère les principaux déposants français de brevets européens, on retrouve globalement les mêmes acteurs : CNRS (18%), INSERM (14%), sanofi-aventis (13%), Universités (12%), Institut Pasteur (11%)…
Pour Didier Hoch, président de Sanofi-Pasteur MSD, président du Comité Biotech du Leem, « cette étude de l’INPI est un véritable marqueur de l’innovation. Depuis 2004, parmi les médicaments ayant fait l’objet d’une AMM européenne, 27 sont issus du génie génétique et/ou des biosimilaires et 95 sont dits « chimiques » naturels ou de synthèse. Pour tous, on le voit, il n’y a pratiquement plus aujourd’hui de mise sur le marché sans une intervention, peu ou prou, de la biologie moléculaire et de la biotechnologie. Avec un fonctionnement en réseau, entre les partenaires du public et du privé. Dans ce contexte, si la France sait s’engager davantage dans les biotechnologies, elle a toutes les forces nécessaires, en public comme en privé, pour rester un grand pays de l’innovation ». Dont acte.