« Ne plus transporter le blessé à l'hôpital, mais transporter l'hôpital au pied du platane ». L’idée du Pr Lareng est simple mais dans les années soixante, un médecin ne sort pas de l’hôpital. Impossible à imaginer pour les mandarins et les politiques en charge de la santé. C’est la « Dépêche du Midi » qui rapporte l’anecdote : Louis Lareng avec certains de ses amis médecins décident de contourner ce principe en forme d’interdiction. Ils portent secours aux blessés de la route. Cela crée rapidement des remous dans le monde sclérosé de l’hôpital et des sanctions sont même envisagées. « Le hasard, malicieux, rapporte le journal, fait que lors d’une ces sorties, ce Samu clandestin sauve la vie d’un jeune accidenté, dont le papa était membre du jury censé sanctionner le Pr Lareng ».
Désormais la machine est lancée et le premier SAMU de France est créé, il y a un peu plus de 50 ans, le 16 juillet 1968, à Toulouse dans la région de Louis Lareng. Officialisé par la loi de juillet 1972, le modèle est étendu à tous les départements français. Avec le succès que l’on connait.
Louis Lareng est né le 8 avril 1923, à Ayzac-Ost, dans les Hautes-Pyrénées, commune dont il sera le maire de 1965 à 1977. « Un médecin, expliquait-t-il lors d’une interview, ne doit avoir qu’une seule pensée, qu’un seul but, qu’une seule mission : sauver des vies. Il doit tout mettre en œuvre pour cela, quitte à prendre des risques ». Une exigence pour lui et nombre de médecins mais qui a du mal à faire son chemin chez les autorités médicales des années 60-70. Mais il n’abdique pas.
La création des SAMU sera une étape essentielle, sans doute, mais pas suffisante à ses yeux. D’où l’idée de mettre en place un numéro téléphonique unique qui permettra aux patients, aux malades en difficulté d’appeler l’hôpital et le service d’urgence. Pas facile…Louis Lareng a durement bataillé une nouvelle fois et longtemps : le 15, numéro gratuit d’appel national pour les urgences médicales est créé seulement en 1978 à la suite d’une décision interministérielle. Et il a fallu attendre la loi de 1986 votée par les députés, parmi lesquels siégeait Louis Lareng élu socialiste, pour donner une assisse législative et donc réglementaire aux SAMU et à l’aide médicale d’urgence.
Louis Lareng ne s’arrête pas là. C’est un des pionniers de la télémédecine en France. Une technique qu’il découvre lors d’un voyage au Canada. Faciliter le dialogue à distance entre praticiens sur un cas, sur un patient; transmettre radios et scanners pour enrichir cette concertation ; permettre à des médecins isolés de bénéficier des conseils de leurs confrères ; donner au médecin rural la même formation continue dont bénéficie le médecin de ville ou le praticien hospitalier : il a permis des avancées, il a ouvert des voies qui continuent d’être explorées aujourd’hui. Il en a été, avec d’autres certes, l’un des précurseurs.
Mais Louis Lareng, on l’oublie trop souvent, c’est aussi des missions humanitaires, médicales et d’urgence dans des contrées où les conflits s’éternisent, où les blessures de guerre imposent l’intervention d’urgence du médecin et du chirurgien, où la mort est sans cesse présente.
Les hommages ne manquent pas depuis l’annonce de sa disparition et la ministre de la santé, Agnès Buzyn, de saluer la mémoire d’un médecin, « qui a eu l'audace, en 1968, de créer le Samu, dont on connaît le rôle majeur dans notre système de santé. Notre médecine d'urgence lui doit beaucoup ». Une évidence, mais à l’heure où les services d’urgence connaissent en crise sans précédent, menaçant leur existence, il serait heureux que des décisions et des moyens à la hauteur des difficultés actuelles, permettent à l’urgence médicale de poursuivre ses missions avec une efficacité renforcée.
Un grand médecin vient de disparaitre. Son œuvre doit se perpétuer.