Ces trois domaines ont été au fil du temps délaissés, libérant un marché structuré à des prix élevés qui ont généré de plus en plus de renoncement aux soins.
Pourtant la santé est un tout : voir, entendre, manger ne sont pas des luxes mais un droit essentiel pour la population de notre pays.
L’entrée dans la dépendance, devenue un enjeu majeur pour les populations âgées, est très souvent corrélée à une chute laquelle trouve son origine dans les troubles de la vue, les vertiges et la dénutrition (souvent liée à un défaut dentaire).
Il était donc nécessaire que dans ces trois domaines marqués par un fort renoncement aux soins, les français puissent se soigner sans discrimination d’ordre sociale.
Parmi les voies possibles pour apporter une solution à ce besoin, le gouvernement a fait le choix d’un accord tripartite sécu-complémentaires santé-professionnels de santé pour aboutir à des prestations à prix contenus et intégralement pris en charge (RO/RC).
Grâce à ce « 100% santé », les plus modestes parmi nous retrouvent une offre permettant de couvrir leurs besoins dentaires, optiques et auditifs.
Cinq défis majeurs restent à relever pour que cette annonce porte ses fruits.
1/ Premier défi : empêcher l’augmentation des tarifs
Dans la configuration où la couverture de la Sécurité sociale ne prend qu’une faible partie des soins en charge notamment en ville, nul ne pourra plus rester sans couverture complémentaire.
Se profile donc pour les mutuelles, un nouveau secteur économique dont l’offre initiale sera constituée de prestations de base qui ira avec des cotisations majorées (sans garantie d’accès aux professionnels).
L’effort consenti par les RO/RC pour rembourser ces prestations de base sera de fait payé par las bénéficiaires eux-mêmes à travers leurs cotisations. L’engagement semble pris de ne pas augmenter les tarifs des cotisations et Agnès Buzyn le rappelle régulièrement.
Pour autant, quand on sait que les tarifs des complémentaires ont augmenté de 47% les onze dernières années sans augmentation significative de la qualité des prises en charge, on ne peut s’empêcher de penser que la note finale risque d’être douloureuse à plus ou moins brève échéance.
2/ Deuxième défi : se préoccuper de la qualité des prestations proposées
Comment ne pas penser que les prix contenus concédés par les professionnels ne s’accompagneront pas d’un plafonnement minimal voir d’une baisse de la qualité des prestations proposées. Cette idée trouve son corollaire logique dans le fait que le secteur économique du RAC zéro ainsi créé, ne concernera ni les innovations ni les avancées technologiques récentes.
L’offre du secteur dentaire illustre ce fossé qualitatif : l’implantologie sera réservée aux plus aisés et le couple céramique-métal aux autres. Un sourire et vous donnez à voir votre position sociale.
Le risque d’une médecine déclassée pour ceux qui ne peuvent se payer une complémentaire donnant accès aux meilleures prestations demeure entier.
3/ Troisième défi : penser la garantie d’accès aux professionnels de santé
Le renoncement aux soins pour des motifs financiers est majoritaire ; l’accès physique aux professionnels de santé est une difficulté supplémentaire.
Qu’il intervienne dans une situation de désert médical, dans un contexte horaire (difficultés d’accès aux professionnels dans des délais raisonnables), ou de refus signifié aux bénéficiaires de la CMU-C, l’accès aux soins est trop souvent difficile.
Or, la garantie d’une prestation à un tarif de base, ne garantit en rien l’accès au professionnel proposant la prestation correspondante.
Un panier de soins disponible pour les lunettes ou les dents par exemple est une très bonne chose mais ne solutionne pas la question des difficultés d’accès aux professionnels prescripteurs.
4/ Quatrième défi : transformer les mesures préventives proposées en vrais aiguillons de santé
La création du RAC zéro s’accompagne de l’annonce de mesures de prévention séduisantes : le dévalement des soins en dentaire plutôt que le recours aux appareils (orthétiques) par exemple, le comblement du sillon. Cette proposition montre la voie de ce qu’il peut être possible d’initier pour inverser la donne.
Cette inversion nécessite toutefois une mobilisation sans faille de tous les acteurs de santé, des pouvoirs publics, de l’éducation nationale, des élus, des associations d’usagers le tout sur une longue période ; l’enjeu est majeur pour permettre à cette annonce de ne pas rester lettre morte. Le Bilan Bucco-dentaire (BDD)[1], est un dispositif très porteur lui aussi; faute de soutien auprès des professionnels comme des patients, moins de 5% des adolescents y ont recours parmi ceux qui ne sont pas suivis par un chirurgien-dentiste, c’est-à-dire, ceux qui ont en le plus besoin.
5/ Cinquième défi : prévoir rapidement un dispositif d’évaluation de ces mesures
Aujourd’hui, les annonces du RAC zéro sont marquées par l’absence d’évaluation ou simplement d’indicateurs publics permettant de juger de l’impact des mesures annoncées sur l’accès aux soins.
A ce stade, ces indicateurs n’ont peut-être pas encore eu le temps d’être exposés. C’est l’hypothèse qui nous permettrait de passer de l’annonce au tournant historique vers la progression de notre système de protection sociale et de l’accès aux soins pour tous.
Au-delà des termes de ces accords RAC zéro (dont l’impact devra être observé précisément) c’est la place du remboursement de base de la Sécurité sociale qui est interrogé.
Celui-ci, accru en cas d’affections longue durée prises en charge à 100%, permet sans discrimination de cotisations l’accès aux innovations technologiques dans le champ des traitements des maladies. L’architecture du RAC zéro tel qu’il est aujourd’hui présenté fait porter les hausses de cotisations à ceux qui renoncent aux soins pour des prestations moins innovantes dans garantie d’accès à ces prestations. Les germes d’une médecine à deux vitesses en somme.
[1] Une visite par an proposée et si nécessaire des soins payant mais 100% remboursés par la Sécurité sociale
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