Le Dr André Morge, généraliste auvergnat relève un défi thérapeutique. Très impliqué dans le réseau départemental PARADE* de prise en charge de l’alcoolisme, il se félicite de l’officialisation prochaine du réseau qui a déjà recruté et formé une quarantaine de médecins en Puy de Dôme : « Le principe est celui d’une prise en charge pluridisciplinaire des problèmes socio-psycho-juridico-physiques des patients. L’objectif, prouvé faisable en 3 à 5 ans, est de faire de 50% des abuseurs d’alcool des consommateurs abstinents ou normaux : pas plus de 3 verres par jour pour un homme, 2 pour une femme. ». Un étiquettage précis de la pathologie est indispensable. Le Dr Morge poursuit : « Les personnes en abus (ou excès) de consommation d’alcool en ont, selon le DSM IV** et la CIM 10***, un usage nocif qui entraîne des perturbations socio-professionnelles (conflit avec la maréchaussée, comparution aux tribunaux, licenciement, accidents de travail), physiques (cirrhose hépatique, neuropathie, cardiomyopathie) et personnelles (divorces) ». Cette mobilisation se heurte néanmoins au déni général persistant. Alors que l’on compte aujourd’hui 20% d’alcooliques dans la population française consultant les structures de soins (ville et hôpital) dont 15% de buveurs excessifs, 5% de dépendants.
Ajoutant sa contribution aux rares chiffres français de l’épidémiologie alcoologique, le Pr Michel Reynaud (psychiatre, chef de service au CHU de Clermont-Ferrand) entend donner de la publicité à son enquête (voir plus bas) sur l’alcoolisation en Auvergne. Un patient homme hospitalisé sur deux y est en délicatesse avec la liqueur bacchique entre 40 et 50 ans. A quoi répond une dommageable inertie thérapeutique. Les professionnels de santé repèrent la dépendance plutôt que l’abus, or cette dépendance offre un tableau propre à rebuter les soignants, tel le Dr Marc Doucin installé à proximité de Clermont-Ferrand :« Mes succès thérapeutiques sont confidentiels ». En réponse à cette perception négative du problème, le Pr Reynaud défend l’efficacité réelle d’une prise en charge au sein d’un réseau, simple mais pas assez diffusée. D’abord le repérage des buveurs excessifs (l’abus d’alcool) grâce au test DETA (voir encadré ci-contre en haut). Deux réponses positives au cours de l’entretien médecin-patient suffisent pour signer l’abus ou la dépendance. On passe alors au bilan physique qui comporte le dosage des marqueurs d’imprégnation éthylique. L’augmentation des gamma GT, peu spécifique, est tardive et les lésions tissulaires déjà installées. Il vaut mieux se fonder sur l’augmentation des CDT (carbohydrate deficient transférases) précoce et positive en 15 jours. Le taux de cette enzyme suit spécifiquement l’alcoolisation et disparaît avec elle. Vient ensuite l’évaluation du retentissement psychosocial, préalable à des interventions psychothérapeutiques courtes, qui freinent ou annulent l’évolution alcoolodépendante, qui se produit dans 70 à 75% des cas en l’absence d’intervention. Michel Reynaud insiste sur l’efficacité prouvée de ces thérapies brêves, dont l’apprentissage peut se faire aisément par tout généraliste : « Il s’agit de 15 minutes de conversation orientée et codifiée avec le patient, que l’on reconduit 3 ou 4 fois à une semaine d’intervalle ». A condition de trouver un lieu où se former ! Ils sont rares en France et l’adhésion des confrères n’est pas acquise : « Le trouble n’est pas vécu comme pathologique. Les patients ne sont pas réceptifs aux conseils, ils tiennent à leurs habitudes et font de l’humour sur les dégâts de l’alcoolisme. Le déni du malade précède celui du médecin », persiste le Dr Doucin.
Michel Reynaud le sait et n’oublie pas de revoir les codes socioculturels impliquant l’alcool. Il prépare un large programme national de sensibilisation avec le soutien des pouvoirs publics enfin de préparer l’individu au conseil du praticien sur l’excès d’alcool. Une sorte de croisade en amont, une prise en charge graduelle avec une formation spécifique des MG qui éviterait le séjour en service d’addictologie. Là encore, le Dr Doucin objecte : « Les malades résistent à l’intrusion dans leur vie. Je propose, ils disposent. Ce qui n’empêche pas la fuite des clients rebelles à toute intervention. Un double fiasco car le patient ne se porte pas mieux et mon cabinet se porte moins bien » conclut-il. Le cas du Dr Gilles Demignieux installé à Blois incite effectivement à l’intégration en réseau de soins (tel PARADE). Il s’est tellement consacré à l’aide des alcooliques qu’il avoue une catastrophe économique : il ferme son cabinet. Non sans se réjouir d’y avoir « vécu des moments merveilleux sur le plan relationnel ». Pas du tout dégoûté de cet exercice il continue d’oeuvrer en institution. Il faut y voir un appel à la pratique épaulée et formée en réseau pour une réussite annoncée, scande énergiquement Michel Reynaud, en reconnaissant que les autorités de tutelle n’offrent que parcimonieusement le soutien qu’on serait en droit d’attendre. Le déni vole haut.
En 2017 l’INPES propose cette information au grand public.
* PARADE, Patients A Risque d’Abus et DEpendance. Réseau départemental expérimental en cours d’agrément ministériel proposant une prise en charge pluridisciplinaire synchronisée avec des MG payés aux forfaits (différents selon le niveau d’intervention) et des patients en dispense d’avance de frais.
** DSM IV : manuel américain de classication des maladies mentales, 4è mise à jour
***CIM 10 : Classification International des Maladies (OMS), 10è édition