Une clinique, ici ? On n’y croit pas. A flanc de coteau, au milieu des oliviers qui régnent sur la terrasse, s’ouvre une auberge transformée en Centre d’Action et de Libération des Malades Ethyliques, le CALME. Cette maison ouverte en 1981 à Cabris est la seule clinique coopérative française. Dirigée par un collège de professionnels de santé (médecins et psychologues), elle recrute de préférence ses employés parmi d’anciens buveurs guéris. S’ils ont fait la cure spécifique du CALME, c’est encore mieux. « Ils savent parler aux patients de ce qu’ils connaissent bien ! » Une légitimité totale que ne revendique pas le Dr Hervé Poutet, médecin remplaçant officiel au Centre, quoiqu’il aime le vin et refuse de prôner l’abstinence intégriste...
Sonnerie de son téléphone portable, un problème de dosage antibiotique injectable. Ce n’est pas la dernière interruption, sa clientèle de ville peut réclamer son aide à tout moment. Ce vacataire alcoologue reprend l’entretien avec une douceur de ton surprenante dans ce corps qui évoque le rugby plutôt que la prise en charge psychologique : « Ici l’alcool n’est pas honni, mais remit à sa place, comme péripétie terminale d’une aventure qui remonte loin dans l’histoire des individus. Le CALME m’a appris à engager un dialogue approfondi, aussi bien avec les buveurs qu’avec les autres patients, sans les faire fuir ni se faire rembarrer.» Cette communauté humaine où tout le monde se tutoie et s’appelle par son prénom, où les médecins vivent et mangent comme les patients, a ouvert l’horizon d’Hervé Poutet en 1992. Alors généraliste, installé depuis 1976 et associé à un confrère aussi omnipraticien, il ignorait qu’à quelques kilomètres de son cabinet de Grasse s’excerçait une autre médecine, alcoologique et coopérative. « Un de mes remplaçants qui y faisait des vacations m’a introduit, par hasard », se remémore-t-il, encore surpris des voies de la Providence.
C’est le choc pour cet homme réservé qui abat le travail difficile et routinier du MG avec détermination mais sans satisfaction particulière. Il embraye sur un stage de formation au sein de l’équipe : « Pas pour l’argent, précise-t-il en souriant, ni pour me soigner. Ici on ne tient pas si l’on vient pour ça ». La poursuite d’une coopération dépend d’ailleurs de la cooptation par l’équipe entière, la moindre complaisance suspecte est dénoncée. Hervé Poutet a passé l’épreuve avec succès, il remplace officiellement les confrères du CALME, y compris dans l’antenne d’Ile de France d’Illiers-Combrais. N’y a-t-il pas risque de surmenage à mener tant d’activités de front ? « Parfois je sors ratatiné, mais la gratification est tellement importante en compensation... » dit-il, « je prends ici un peu de pratique que je reverse quotidiennement à mon cabinet. Pour rien au monde, je ne pourrais exercer autrement aujourd’hui. »