L‘histoire aurait pu être belle. Elle est sinistre. La cour d’appel de Paris vient en effet de rejeter la décision du Tribunal qui en première instance condamnait l’assurance maladie à prendre en charge les deux tiers du coût des greffes dont a bénéficié aux Etats Unis, Laura Nataf.
Les lecteurs de Théragora se souviennent du périple que Laura a dû accomplir pour parvenir à se faire greffer des bras et des mains après une amputation en 2007 suite à un choc septique. Elle a lutté 14 ans. Le secours, ce n’est malheureusement pas une réelle surprise, ne viendra pas la France -qui lui a refusé ses greffes, après avoir, dans un premier temps, donné son accord – mais des Etats Unis. Le secours viendra aussi d’un médecin le Pr Lantieri qui l’accompagnera à Philadelphie où seront réalisées ces greffes. Mais bien sur, ces interventions longues, délicates, compliquées ont un coût : plus d’un million d’euros, que l’assurance maladie refuse de prendre en charge. Ce qui explique le recours à la justice décidé par Laura Nataf et son avocate, Maître Valérie Sellam Benisty. En première instance, l’assurance maladie est donc condamnée à perdre en charge la majeure partie des frais, prés de 700 000 euros environ, de cette intervention. La cour estime que Laura ne pouvant se faire greffer ni en France ni dans un pays de l’Union européenne, n’avait d’autre choix que de choisir un autre pays, en l’occurrence les Etats Unis, pour que soient pratiquées ces greffes.
Une décision contestée par l’assurance maladie qui décide donc de saisir la Cour d’appel. Et le verdict qui vient d’être rendu, infirme donc la décision du Tribunal de Paris, et supprime toute prise en charge par l’assurance maladie du coût de cette intervention.
Il est évident que cette affaire induit des conséquences plus importantes qu’il n’y parait au premier abord. Car la Cour d’appel laisse clairement entendre, pour ce que nous en savons, que c’est à l’assurance maladie de déterminer les malades et les affections qu’elle prend en charge. Ainsi, dans le cas de Laura, il faut se souvenir qu’une autre patiente, elle aussi amputée des quatre membres, a vu ses greffes également opérées aux Etats Unis, être remboursées par le régime de sécurité sociale des indépendants, alors que cette même prise en charge a été refusée à Laura par la caisse primaire d’assurance maladie de Paris. Pourquoi cette différence de traitement ? C’est le principe de l’égalité des patients devant les soins qui est ainsi posé. La Cour d’appel donne ainsi au pouvoir discriminatoire de l’administration et de l’assurance maladie une force telle qu’elle ne manque pas d inquiéter. « Très curieusement, commente ainsi Maitre Valérie Sellam Benisty, et alors que de toute évidence, les juges d'appel ne méconnaissent pas et prennent même en considération les arguments de Laura Nataf, l'arrêt se borne à mettre en avant le pouvoir discrétionnaire de l'administration, liant ainsi les mains des juges ».
L’assurance maladie doit-elle, peut-elle « choisir » les malades qu’elle rembourse ? Dans le cas de Laura, le médecin conseil de la caisse, sans motiver sa décision – ni l’avocate ni patiente ne l’ont reçue –peut il décider, comme il l’a fait, de ne pas prendre en charge des frais de santé ? Si l’on suit la décision de la Cour d’appel, il a en effet ce droit. Ce qui pose un autre problème. Une décision sans motivation peut elle être recevable, acceptable et crédible ? La question mérite aussi un examen minutieux. D’autant que ce principe parait aller à l’encontre d’une loi de décembre 2021 qui stipule que des soins peuvent bénéficier d’une prise en charge, si la France ne propose pas de solution adéquate. Une telle décision serait alors prise après l’avis d’un comité d’experts, qui devra la motiver. Ce que semble négliger clairement les juges de la Cour d’appel.
Il ne faut pas se leurrer, cet arrêt de la Cour d’appel de Paris pose clairement le problème de l’égalité des citoyens devant l’accès aux soins. Sans doute le législateur devrait-il s’en inquiéter…
Reste que Laura est aujourd’hui dévastée. Elle étudie, avec son avocate, la possibilité de se pourvoir en cassation.