Le 10 novembre 2022, les membres du Conseil Constitutionnel ont jugé conforme à la Constitution les dispositions de l'article L.1111-11 du code de la santé publique qui prévoit que : « les directives anticipées s'imposent au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement, sauf en cas d'urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ».
Pour comprendre les enjeux de cette décision, il faut en revenir aux fondements législatifs. En droit français, les directives anticipées permettent aux individus majeurs d’exprimer leur volonté en matière de traitements ou d’actes médicaux, en anticipation du fait qu’ils pourraient un jour ne plus avoir la capacité d’exprimer leur souhait par eux-mêmes. L’expression de ces volontés est opposable aux professionnels de santé, sauf dans deux cas particuliers : l’urgence vitale et le caractère manifestement inapproprié ou non conforme des directives anticipées à la situation médicale. En l’occurrence, c’est la dimension jugée potentiellement « imprécise » de ces termes, pouvant conduire à conférer une marge d’appréciation trop importante au professionnel de santé, qui a été soumise à l’analyse du Conseil Constitutionnel.
La décision rendue le 10 novembre dernier nous permet aujourd’hui de clarifier cette ambiguïté. Par cet avis, les membres du Conseil Constitutionnel ont réaffirmé l’importance des directives anticipées mais également leurs limites. Selon cette décision, une volonté exprimée lorsque l’on possède toutes ses facultés mentales doit être mesurée à l’appréciation du professionnel de santé, selon sa conformité à la situation clinique au moment où la personne n’est plus en mesure de s’exprimer.
De plus, la possibilité d’invoquer la situation d’obstination déraisonnable afin d’arrêter des traitements considérés comme inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autres effets que le seul maintien artificiel de la vie, est reconnue tant aux personnes concernées qu’aux professionnels de santé. Si cette faculté donnée aux professionnels est très peu connue, en particulier si on la rapporte à la même possibilité admises pour le patient ou les proches, elle est néanmoins essentielle pour saisir et comprendre lerôle réel du professionnel de santé dans l’accompagnement de son patient.
En d’autres termes, si la volonté de la personne est reconnue comme incontournable, il revient néanmoins au médecin d’en apprécier les limites - eu égard au droit du patient de recevoir les soins et(1) si la conformité à la Constitution est désormais pleinement reconnue, il est néanmoins important de mettre en évidence l’importance et la nécessité de porter ces dispositifs à la connaissance du grand public et des parties-prenantes.
Les directives anticipées sont un droit dont il est indispensable d’assurer la connaissance auprès des citoyens. Au-delà des directives anticipées, il est également important que ces derniers se familiarisent avec l’ensemble des dispositions législatives qui forment les droits à la fin de vie ; au premier rang desquels celui de ne pas faire l’objet d’obstination déraisonnable (situation dont l'existence peut être invoquée par les patients, les proches, mais également par les professionnels de santé).
Au-delà de la question de constitutionnalité, c’est la question de la connaissance des dispositifs qui se pose, et de leur compréhension par les citoyens et les professionnels de santé.
Plus que jamais, il nous paraît essentiel de porter cette connaissance et l’appropriation des éléments à la portée de l’ensemble des citoyens, quel que soit leur niveau d’expérience sur la fin de vie. Cette mission fait partie des activités premières du Centre National Fin de vie - Soins Palliatifs, au sein duquel nous œuvrons pour que chaque citoyen puisse comprendre ses droits, les mobiliser et mener des choix éclairés même dans une période aussi délicate que celle de la fin de vie.
(1) Article L1110-5 Code de la santé publique
Pour aller plus loin
Le Centre national Fin de vie–Soins Palliatifsa publié un document sur l'aide active a mourir consultable ici : Focushttp://www.theragora.fr/pdfs/Focus-Aide-active-a-mourir.pdf
L'objet de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 22 août 2022 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique.
L'article L. 1111-11 du code de la santé publique prévoit que toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées relatives à sa fin de vie, qui s'imposent en principe au médecin, pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l'arrêt ou du refus de traitement ou d'acte médicaux.
Les dispositions contestées de cet article permettent au médecin d'écarter ces directives anticipées notamment lorsqu'elles sont manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient.
Il était notamment reproché à ces dispositions par les requérantes, rejointes par l'association intervenante, de permettre à un médecin d'écarter les directives anticipées par lesquelles un patient a exprimé sa volonté que soient poursuivis des traitements le maintenant en vie. Elles faisaient valoir que, en permettant au médecin de prendre une telle décision lorsque les directives lui apparaissent « manifestement inappropriées ou non conformes » à la situation médicale du patient, ces dispositions n'étaient pas entourées de garanties suffisantes dès lors que ces termes étaient imprécis et conféraient au médecin une marge d'appréciation trop importante, alors qu'il prend sa décision seul et sans être soumis à un délai de réflexion préalable. Il en résultait, selon elles, une méconnaissance du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, dont aurait découlé le droit au respect de la vie humaine, ainsi que de la liberté personnelle et de la liberté de conscience.
- Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle que le Préambule de la Constitution de 1946 réaffirme que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. La sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d'asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle.
Il rappelle également que la liberté personnelle est proclamée par les articles 1er, 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Il appartient, dès lors, au législateur, compétent en application de l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, notamment en matière médicale, de déterminer les conditions dans lesquelles la poursuite ou l'arrêt des traitements d'une personne en fin de vie peuvent être décidés, dans le respect de ces exigences constitutionnelles.
- À l'aune du cadre constitutionnel ainsi précisé, le Conseil constitutionnel relève, en premier lieu, que, en permettant au médecin d'écarter des directives anticipées, le législateur a estimé que ces dernières ne pouvaient s'imposer en toutes circonstances, dès lors qu'elles sont rédigées à un moment où la personne ne se trouve pas encore confrontée à la situation particulière de fin de vie dans laquelle elle ne sera plus en mesure d'exprimer sa volonté en raison de la gravité de son état. Ce faisant, il a entendu garantir le droit de toute personne à recevoir les soins les plus appropriés à son état et assurer la sauvegarde de la dignité des personnes en fin de vie.
À cet égard, le Conseil rappelle qu'il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement et qu'il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conditions dans lesquelles un médecin peut écarter les directives anticipées d'un patient en fin de vie hors d'état d'exprimer sa volonté dès lors que ces conditions ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif poursuivi.
En deuxième lieu, les dispositions contestées ne permettent au médecin d'écarter les directives anticipées que si elles sont « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » du patient. Ces dispositions ne sont ni imprécises ni ambiguës.
En troisième lieu, la décision du médecin ne peut être prise qu'à l'issue d'une procédure collégiale destinée à l'éclairer. Elle est inscrite au dossier médical et portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches.
En dernier lieu, la décision du médecin est soumise, le cas échéant, au contrôle du juge. Dans le cas où est prise une décision de limiter ou d'arrêter un traitement de maintien en vie au titre du refus de l'obstination déraisonnable, cette décision est notifiée dans des conditions permettant à la personne de confiance ou, à défaut, à sa famille ou à ses proches, d'exercer un recours en temps utile. Ce recours est par ailleurs examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux fins d'obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée.
De l'ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel déduit que le législateur n'a méconnu ni le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ni la liberté personnelle.
Considérant que les dispositions contestées ne méconnaissent pas non plus la liberté de conscience ni le principe d'égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel les juge conformes à la Constitution.
http://www.theragora.fr/pdfs/CP-Conseil-constitutionnel-10-11-2022.pdf